« La vie n’est pas parfaite on le sait, mais elle peut-être un chemin de perfection. »
On pourrait inscrire cette citation de Jorge Semprun en exergue du nouvel album de Jil Caplan. Un album qui ressemble à un périple sensuel, mobile et émouvant, spleen et allégresse, mélancolie et tendresse, gravité et légèreté… Comme la vie. Car « Imparfaite », entre swing et ballades amoureuses, marque le grand retour de l’une des chanteuses les plus attachantes de notre patrimoine artistique. Une artiste à la griffe vocale singulière, pure, limpide, sans afféterie, qui a toujours occupé une place à part dans un monde de variétés calibrées. Que de chemin parcouru depuis l’apparition, à la fin des années 80, d’une jolie garçonne à la fragilité androgyne. Avec huit albums studio, une Victoire de la musique, 500 000 disques vendus, l’interprète de « Tout ce qui nous sépare » a évolué, mûri, grandi. De Jay Alanski à Jean-Christophe Urbain en passant par J.P. Nataf, elle a su s’entourer des meilleurs mélodistes et arrangeurs pour, peu à peu, au fil des albums, de La Charmeuse de serpents à Derrière la porte, se forger une véritable personnalité d’auteure-interprète.
A l’image de ce nouvel album (après un silence discographique de dix ans) dont elle a écrit tous les textes, sur des musiques peu communes. Le résultat d’une rencontre avec le guitariste virtuose Romane, héritier de Django Reinhardt et compositeur éclectique, qui a su sculpter ses notes acrobatiques sur les strophes inspirées de Jil. Rien à voir pourtant avec un disque de jazz… Plutôt un album de chansons de grande classe, à la fois intimes et universelles, qui puisent aux sources du patrimoine français, une sorte d’ADN musical imprimé dans l’inconscient collectif, comme dans celui d’une chanteuse bercée dès l’enfance aux comédies musicales.
Chansons d’amour, bien sûr, de désamour aussi, à la gouaille désespérée et à l’allégresse vengeresse. Des chansons qui parlent du « Temps qui passe », en duo avec Benjamin Biolay, des sentiments qui s’effilochent , « Amour caravelle » avec Thomas Dutronc, du mystère de l’autre, de la solitude. Mais surtout de l’urgence impérieuse de vivre, d’être, d’aimer. Combien de pleurs cachés derrière l’élégance du sourire et de la légèreté… Errance nocturne dans le bouleversant « Petite larme », cavalcade amoureuse dans « Nos chevaux sauvages », esclandre furibond dans « En attendant que tu reviennes », corps à cuivres dans « Stradivarius ». Il y a aussi des étourneaux qui dansent dans les rues de Paris, des gens qui passent, des chardons et des myosotis, des amants qui s’enlacent et qui se lassent, Love me tender et Heartbreak hotel.
Au fil des chansons, l’auditeur est emmené par la qualité et l’exigence des arrangements très cinématographiques, par le charme de la voix de Jil qui se déploie tout au long de cet album, réalisé et arrangé par Jean-Christophe Urbain (Les innocents). C’ est l’occasion de la retrouver enfin, Jil Caplan, l’auteure et la chanteuse, l’artiste et la femme, au meilleur d’elle-même. Imparfaite ? Plutôt toute crue, toute entière. Toutam, toute âme, toute elle.
Philippe Barbot
► Repères biographiques
- Victoire de la musique catégorie « meilleur espoir féminin » (1992)
- Prix de l’académie du disque (1992)
► Discographie :
- Imparfaite (Washi Washa, 20017)
- Derrière la porte (EMI, 2007)
- Comme elle vient (Warner, 2004)
- Toute crue (Warner, 2001)
- Jil Caplan (Epic, 1996)
- Avant qu’il ne soit trop tard (Epic, 1993)
- La charmeuse de serpents (Epic, 1990)
- A peine 21 (Epic, 1987)
- Best of : Jours de fête (Epic, 1997)
► EP :
- Revue (EP de reprises, Believe, 2011)
- Gueule d’amour (Warner, 2003)
► Littérature :
- « Le Feu aux joues », récit (Robert Laffont, 2022)
- « Vie Sauvage (XXIsiècle éditions, 2012)
► Participations & projets spéciaux :
- « La petite sirène », chanson générique (Walt Disney-Sony, 1998)
- Hommage à Carlos Jobim (XIII bis, 1998)